L’intérêt du concept de castration vis-à-vis de l’accompagnement professionnel
Le schéma de la castration répond à un double mouvement fondamental car précoce,et contenu dans l’expérience de la naissance, celui de la séparation d’avec la mère, suivi de la volonté de revenir sur cette séparation, de la nier ou de l’ignorer, jusqu’à la rencontre d’un signe qui dirait que ce retour n’est pas possible.
La vie (l’existence) comme la mort (de la séparation) sont contenus dans la première ligne . La vie (du désir) et la mort (de la fusion) sont contenus dans la seconde.
Ce processus, simplifié ici à l’extrême focalise l’essentiel de la question de la castration dans le signe posé sur la flèche du retour. Si ce mouvement se met en place alors on peut dire que sa répétition à différents niveaux, plus ou moins élaborés (privation, frustration, castration) aboutira à la résolution de l’oedipe.
Cela dit si la rencontre avec le signe de la fonction paternelle marque un moment irréversible et définitif pour chacun quant à son statut de sujet, personne n’en a pour autant fini une fois pour toute avec la vérification permanente de ce processus, de sa validité.
Le désir peut se maintenir comme tension vivante, pour autant qu’il ne puisse pas se résoudre « absolument » dans la réalisation « absolue ». Tout sujet peut alors dire « J’en constate les effets : Je peux dire (symbolique) et m’affirmer dans un rapport à la réalité des autres »
Pourtant rien ne paraît plus mouvant, en équilibre instable, en risque de décompensation, que ce processus, et une grande partie de l’existence va prendre sens dans la vérification toujours répétée de son fonctionnement.
Je dois vérifier en particulier « la ligne du dessous »
- que je peux maintenir la tension qui me pousse à posséder l’objet de désir et me fondre en lui, c’est-à-dire que du Désir est possible.
- qu’un signe est présent qui indique que tout cela ne tourne pas en «eau de boudin» dans la fusion mortifère ou psychotisante.
L’hypothèse est la suivante : si le lieu privilégié de cette vérification pour l’enfant, c’est le jeu pour l’adulte ce sera et ça ne cessera d’être le travail.
Le travail est bien le lieu de vérification du maintien de la fonction paternelle face à un mouvement de désir incestueux. Il faut y maintenir le risque de l’inceste pour y appliquer l’effectivité de la fonction paternelle.
Quelques idées sur la castration
La castration permet le désir : Castration « symboligène » de F.DOLTO.
C’est la clé du complexe d’oedipe, le petit détail qui permet d’ouvrir la porte de l’accès aux autres, à l’échange, au lien avec la réalité
La castration c’est la non toute puissance
La castration consiste à assumer le fait que nos limites corporelles ne coïncident pas avec l’étendue de nos désirs. Toute existence humaine passe par le renoncement à avoir tout, et en particulier par le renoncement à la toute puissance infantile. Cela nécessite (donc permet) l’acceptation de la loi commune : de l’interdit de l’inceste à la simple politesse..
La castration c’est le langage
La castration est donc pour chacun une expérience, de rupture, de séparation, de renoncement et dans le même temps l’incarnation d’un signe de la différence une dimension symbolique, Avoir un pénis ne prend un sens que parce que certains n’en ont pas. Le phallus ne vaut qu’à renvoyer à la pure différence (la réalité ne peut pas se signifier elle-même mais doit passer par un signifiant).
La castration permet d’engager un choix
Ces expériences du constat de la différence des sexes, et de l’angoisse de castration dans l’élaboration qui en est faite par chaque sujet, portent un enjeu, celui de la capacité à faire un choix. Il faut choisir de n’être pas tout, donc de dépendre de l’autre pour être complètement. On sait que l’hystérique souffre de ne pouvoir faire ce choix[1].
La traversée de l’angoisse est une épreuve nécessaire
La puissance (sexuelle bien sûr, mais aussi la puissance qui s’incarne dans la capacité à faire sa vie , à être , à dire , à assumer un parcours) dépend étroitement de ce choix de n’être pas tout. Il faut pour cela « traverser l’angoisse de castration » et qui ne peut la traverser s’engage dans le chemin de la névrose, de la répétition infinie, de l’hésitation à être, au seuil du plaisir, dans l’ornière de la jouissance.
La castration est surtout celle de la mère qui accepte de manquer et de désirer ailleurs
Qu’elle ne soit, ne se sente pas, un tout dont le moindre manque pourrait être comblé par l’enfant…
Pourquoi la castration se joue t-elle dans l’inceste du travail ?
Dans l’amour la jouissance est supposée possible mais pas l’inceste. ( le fantasme du couple c’est ne faire qu’un).
La question de la castration dans le domaine du Désir de travail impose d’articuler les notions de jouissance et d’inceste.
La jouissance c’est être dans l’objet en indistinction
L’inceste c’est posséder ou faire quelque chose avec l’objet du désir
Dans le travail, l’inceste est supposé possible, mais pas la jouissance, ( le fantasme du travail c’est donner ou posséder tout) Le travail est idéal et collectif il ne peut susciter la jouissance. Mais il présente de « l’objet » et du « territoire » donc un inceste possible.
Si la castration c’est renoncer à l’inceste et à la jouissance.
L’amour, comme le travail sont des lieux où il apparaît possible de ne renoncer qu’à un seul des deux.
Renoncer à la jouissance pour se consoler avec de l’inceste : « voilà le travail ».
Sur cet espoir incestueux reposent toutes les difficultés du DESIR DE TRAVAIL, auxquelles nous sommes confrontés sous forme d’une demande.
Le coaché demande si l’inceste est vraiment possible, ajoutant qu’il n’aimerait pas entendre la réponse à laquelle il s’attend. ( A titre indicatif : cette réponse est « NON »).
Quelques formes de l’inceste en organisation :
La toute première est la violence dans l’entreprise qui opère sur deux registres : la violence qui vise le maintien de l’inceste, et celle qui est nécessaire pour s’en sortir.
Le rêve d’un grand jour ou tout sera identique. « Il faut qu’on aille dans le même sens – Lui il n’a pas l’esprit maison – il faut un chef fort »
Le fait de vouloir tout faire, dénier le manque : « On y arrivera jamais – nous serons les N°1 – Il n’y a pas de perdants chez nous – Nous ne connaissons aucun cas de stress chez nous , les trois suicides de l’année dernière sont liés à des problèmes personnels»
Poser le pouvoir comme objet et non comme fonction – outil du projet : « On ne discute pas – Il n’y a qu’un chef ici , et la loi c’est moi »
Le souhait d’un monde ou il n’y aurait pas à se prendre en charge « On y a droit – je veux être reconnu – c’est un droit acquis – Ils peuvent bien me payer ça – »
La fusion en un grand corps. « On forme une équipe fantastique – c’était génial à cette époque – travailler là c’était le rêve – mon travail me passionne ».
L’exclusion du tiers . « On ne fait ça qu’en interne – L’administration fiscale veut notre peau – On est les meilleurs ».
La perte des repères symboliquesLa confusion entre le rôle et le statut. « C’est très convivial comme job – on n’avait pas besoin de se parler pour avancer – on ne sait jamais où on en est ».
La perception du changement comme impossible. « On a toujours fait comme ça .- On ne change pas une équipe qui gagne ».
De l’inceste en entreprise.
La connivence inconsciente existe pour fabriquer la non castration : celle du sujet souhaitant que quelque chose de cet inceste soit, non pas dit, mais vécu, avec l’entreprise qui veut inconsciemment que cette relation apparaisse comme possible sous une forme positive (gratifications diverses, promesses) ou négative (mise à l’écart, licenciement, séparation brutale d’une filiale à l’étranger par exemple).
Pourquoi travaillons nous?
D’abord pour créer du père (i.e. de la castration), ensuite pour saisir et construire notre inscription dans la réalité.
Le travail est cette invention, béquillée sur le besoin qui permet de lutter contre ou de conjurer la crainte de perte du Désir et de s’assurer (redoubler) la permanence et l’effectivité de la fonction paternelle.
Dès lors on comprend mieux comment les éléments qui construisent le rapport particulier d’un sujet avec la question de la castration sont importants pour saisir la nature de son rapport au travail.
On comprend mieux la difficulté des psychotiques à se mettre au travail. On comprend mieux aussi que la nosographie ne recouvre pas totalement la question des attitudes et des comportements au travail.
En effet on pourrait en quelque sorte se contenter de poser les deux pôles extrêmes de ce processus : trop ou trop peu de castration ce qui permettrait de décrire au travail les « surcastrés » et les « incastrés ».Les premiers étant dans la manifestation d’un ordre paternel permanent, peut être pour parer au doute sur sa validité ; les seconds dans la manifestation d’une toute puissance du désir, peut être pour recréer, faire apparaître ou résister à ce même ordre paternel..
Sur un continuum qui irait de la sur castration à l’in castration plusieurs figures du rapport au travail peuvent se déployer :
Au plan de l’imaginaire c’est le fantasme corps et bien ou corps et âme. Dans la relation avec l’entreprise ce sont les positions théoriques du sur castré et de l’in castré.
Symptômes de l’inceste en entreprise ou au travail
Sur castration : la figure de l’employé qui fait « où on lui dit de faire » , n’ayant pas résisté à la tentation de laisser la question de son désir être traitée par d’autres. Facilité coutumière de celui à qui l’on a enseigné que se voir attribuer un travail était en soi bien suffisant.
Tout ce qui se présente comme soumission passive à l’image du père, obéissance servile, ou comme symptômes de l’inhibition au travail (paresse, fainéantise, fatigue) relève des symptômes de la sur castration..
La plupart des lâchetés au travail liées au fait de dire, (Le « non dire » : évidence, semblant, secret) relèvent peut être également de la sur castration.
Les problématiques touchant à la question de l’autorité difficile
Une clinique de la sur castration est peut être possible.
L’incastration : manifester la toute puissance visant les limites de la jouissance de l’inceste réalisé
– « La loi c’est moi » où le sujet s’identifie à la fonction paternelle pour ne pas la reconnaître agissant sur lui-même. La malhonnêteté en affaire, les dérives maffieuses.
– le droit de cuissage ou le harcèlement, pour manifester la possession de l’objet au sein d’un territoire qui représente la zone d’identification du » moi infini de non droit ».
– La dérive paranoïde de la réussite en affaires, le cynisme, l’ambition dévorante, le fou de travail pour chercher la limite des limites.
– Le militantisme qui pose l’idéologie ou le parti comme une mère dont il est l’objet de complétude (j’appartiens au parti et ma pensée aussi)
– Le carriériste qui pense qu’il y a une position ultime et parfaite, définitive
– Le coach, le manager, le patron qui pensent chacun à leur façon qu’on peut manager le désir
Et évidemment tous les comportements connus des pervers dans le travail
In castrés et sur castrés dans la demande d’accompagnement professionnel
Le surcastré a bien de la douleur où l’incastré à bien des malheurs
Les sur castrés
Viennent demander du « plus » , ou du « psy »
Posent le phallus comme quelque chose dont la possession est supposée possible.
Demandent un surplus de performance, une capacité à reprendre la parole.
Sont dans la plainte infinie de ne pas être reconnus.
Présentent des comportements d’échec et des répétitions de conflits.
Les in castrés
Viennent rarement demander pour eux
Ils posent le phallus comme quelque chose dont la perte serait éventuellement possible.
Viennent comprendre ce qui leur échappe chez les autres.
Tentent de manipuler la situation de coaching.
Cherchent à justifier les abus de pouvoir.
Se placent rapidement en rivalité avec le coach.
Les objectifs du coach / question de la castration.
Permettre de Traverser l’angoisse de castration
Autoriser l’émergence de l’imprévu dans le parcours.
Vérifier la reprise du processus créatif après la levée du processus de répétition.
Avec les in castrés : Attendre, rester ferme sur les positions d’accompagnement proposées.
S’attendre à un transfert négatif et de nombreux évitements, préparer une action sur plusieurs années (avec des blancs importants) avant de pouvoir appliquer la stratégie habituelle aux sur castrés.
Avec les surcastrés.
Accepter le transfert, Défricher les signifiants de la castration, Poster le sujet au bord de son angoisse, Soutenir le « saut dans le vide », Entendre les effets et les conséquences, Rassurer sur le deuil à accomplir.
L’approche du processus de castration représente la fin positive de L’accompagnement FOndamental.
Dans tous les cas la réponse est de l’ordre : « tout bonheur est un petit bonheur »
– il n’y a pas de garantie: jamais on n’atteindra de définition totale de l’être. Travailler condamne à travailler, sans attendre les lendemains qui chantent mais sans attendre non plus la retraite ou les vacances.
– Pour être, il faut perdre mais on ne perd pas tout. Perdre les illusions de l’anthropomorphisme de l’entreprise. Elle ne désire pas, et on est seul, toujours responsable de son désir sinon des circonstances.
– Reconnaître l’imposture des idéaux du travail. Les idéaux du travail proposent de l’inceste, ce qui est acceptable, mais promettent la jouissance ce qui est un piège et un mensonge occasionnant de nombreuses souffrances au travail.
– Passer du travail qui laisse supposer qu’on peut avoir le phallus, à l’œuvre qui désacralise le phallus pour en laisser le seul signe.
Roland Brunner : castration et psycho pathologie.
La question du pouvoir et la question de la loi.
Le surcastré :
Obsessionnel. Conformisme, légalisme, dans l’injonction de l’autre. Le père dit à son fils ce qu’il doit faire, dans l’injonction à faire. Le pouvoir, il en est incapable, c’est « trop de morale ». Poste à fonction technique, lui il ne ment pas et ne sait pas séduire.
Le mal castré :
Position hystérique. Sujet qui est dans la loi mais n’a pas différé cette castration, a des aigreurs d’estomac. Jouir sans passer à la casserole ? Le pouvoir est important pour l’hystérique. Le rapport à la loi, pour savoir si on l’aime quand même.
Le pas assez castré :
Personnalités narcissiques, polymorphes, névrotiques, adolescent, l’homme moderne, il y a de la castration mais pas trop, surmoi débonnaire, à la limite de l’entrée dans la névrose. Il peut y avoir le pôle pervers, le petit pervers. Le pôle psychotique, border line. La recherche du pouvoir est importante.
Le non castré :
Le pervers. L’hystérique peut aimer le pervers pour penser avec lui que la jouissance est possible. Le rapport à la loi du pervers est sur le mode « je fais des conneries, la loi, ! montrez vous ». Il s’agit d’utiliser le pouvoir pour jouir.
Le non castré castrateur :
La loi c’est moi, position délirante. Il est la loi, il a la vérité : position paranoïaque.
En synthèse :
La recherche du pouvoir est un sport pour Hystérique, Pervers, Paranoïaque.
[1] Compléments Marie Cazès : Voir à ce sujet dans la Bible (ancien testament) Sarah / Sara qui ne peut enfanter qu’après avoir perdu son « h » parallèlement à ce qu’Abraam / Abraham le gagne.
On ne peut créer que si l’on accepte son incomplétude et donc un manque. C’est ce manque, ce vide, qui laisse place à la création, comme un lieu de passage dans un double désir contradictoire de le combler et de ne pas le combler pour que le désir puisse demeurer (complétude – fusion – mort).