Intervention de Pierre Viénot à l’occasion du séminaire « Femmes et Hommes  : un même désir de travail » du G.R.A.A.M. du 13 mai 2011

Le plafond de verre est ce mystérieux obstacle qui empêcherait les femmes d’accéder aux postes de plus hautes responsabilités économiques et sociales. Mystérieux car sensé receler une volonté de discrimination qui ne cède en rien à tous les dispositifs visant à l’éviter. Dès lors se pose la question de l’origine de cette forte disproportion constatée entre femmes et hommes aux plus hauts niveaux des organisations.

Ni la sociologie ni la culture ne fournissent de réponse satisfaisante. Reste l’hypothèse structurelle : c’est celle-ci que nous voulons ici explorer à travers le cheminement du Désir de travail, dès l’Oedipe, tel que nous le formulons au GRAAM . Des cheminements distincts seraient à la source d’un destin professionnel différent.

Le plafond de verre n’est pas directement observable, c’est ce que vient signifier la métaphore optique. Ce sont ses effets qui s’observent.

De fait, les femmes sont nettement  moins nombreuses en proportion dans nos instances dirigeantes, toutes institutions confondues.

Les politiques de lutte contre la discrimination sexuelle se sont donc logiquement attachées à réduire ce qui viendrait sournoisement barrer la route aux femmes. Ce qu’il en ressort paradoxalement c’est que malgré l’élimination de tout ce qui pourrait être facteur de discrimination, le mystérieux plafond de verre demeure.

J’en prendrai deux exemples vécus personnellement.

Mon entreprise tout d’abord. Entreprise publique, donc se devant d’être exemplaire dans son application de la loi. Elle a de ce fait mis en place des structures et des personnes chargées expressément de veiller à la non-discrimination. Dans les Comités de carrière, chargés de la nomination des cadres dirigeants et dans chaque structure de GRH qui a son correspondant de «  lutte contre la discrimination ».A cela s’ajoute les instances paritaires qui président à l’avancement où certains partenaires sociaux sont particulièrement vigilants sur ce point. Les mêmes dispositifs ont été mis en place pour le recrutement.

Le constat que j’entends de la part de tous les acteurs concernés est le même : non, il n’y a plus de discrimination objective .Si des nominations aboutissent à de tels déséquilibres c’est parce qu’au moment de procéder au choix un consensus se fait sur les candidatures les mieux adaptées, et que celui-ci aboutit au choix d’une majorité d’hommes.

 

Le second exemple est la formation politique à laquelle j’appartiens et où la notion de parité est vigoureusement mise en avant. Cela a conduit à un processus contraignant de désignation des femmes en nombre égal aux hommes dans tous les organismes de décision du parti.

Néanmoins cela ne fonctionne pas, autant par manque de candidates que par impossibilité, à certains niveaux, d’accepter de désigner des représentantes jugées compétentes.

 

Je conclus de ces deux expériences que quelque chose qui échappe vient en effet discriminer l’accès des femmes aux postes de responsabilité et que ce n’est pas nécessairement à la suite d’une discrimination dans son acception juridique.

Dès lors, qu’est-ce qui pourrait fournir un éclairage sur ce destin professionnel des femmes ?

L’hypothèse que je veux développer ici, c’est celle du cheminement du Désir de travail, respectivement du sujet féminin et du sujet masculin, à travers la Castration, la sortie du complexe d’Œdipe et la rencontre avec le Symbolique et l’Imaginaire ; ce cheminement distinct du Désir de travail serait à la source de choix professionnels ultérieurs, pour une bonne part inconscients, qui structureraient un destin différent selon les hommes et les femmes.

Je vais m’appuyer sur deux sources essentiellement : d’une part sur la lecture que JD Nasio propose des destins respectifs du garçon et de la fille traversant la castration et le complexe d’Œdipe. Et d’autre part sur le modèle du parcours de la pulsion de travail entre réel, symbolique et imaginaire développé par Roland Guinchard dans son ouvrage récent.

 

Pourquoi revenir à la Castration ? Parce que c’est la base de la construction psychique et que de la moulinette oedipienne qui s’ensuit le sujet va sortir profondément déterminé.

Je vous remets le schéma élaboré par JD Nasio sur le complexe de castration chez le garçon et chez la fille.(in « Enseignement de sept concepts cruciaux de la psychanalyse. Payot.2001 )

C’est sur le temps final de l’un et de l’autre que va se concentrer mon propos. Pour l’un, le garçon, le temps final se conclut par «  la fin du complexe d’oedipe », pour l’autre, la fille, « par la naissance du complexe d’oedipe ».

Du côté de la fille, JDN distingue trois issues du complexe de castration et conclut (id p.31 ) :  « On peut constater que le complexe d’oedipe féminin est une formation secondaire, tandis que celui du garçon est une formation primaire. La féminité est en définitive un constant devenir tissé par une multiplicité d’échanges, tous destinés à trouver au pénis son meilleur équivalent ».De ce fait, pour la fille la fin du complexe de castration et la naissance du complexe d’oedipe va la tourner vers la réalité – au sens de l’imaginaire social -. Gardons nous cela de côté et revenons au garçon.

Du côté du garçon, (id p.23) – « Avec le renoncement à la mère et la reconnaissance de la loi paternelle s’achève la phase de l’amour oedipien ; l’affirmation de l’identité masculine devient alors possible. Cette crise que le garçon a du traverser a été féconde et structurante puisqu’il est devenu capable d’assumer son manque et de produire sa propre limite »

Pour lui, la fin du complexe de castration est aussi la fin du complexe d’oedipe et  avec la reconnaissance de la loi paternelle, c’est vers le symbolique – repères, limites – que le garçon va se trouver tourné.

 

Nous quittons maintenant le schéma Freudien expliqué par JD Nasio pour nous intéresser à ce que cette issue différente du complexe de castration entre le garçon et la fille pourrait avoir comme conséquence sur le Désir de travail, donc sur la destinée professionnelle différenciée de l’un et l’autre sexe.

Ce concept de Désir de travail je l’emprunte à Roland Guinchard, dans son ouvrage de référence pour le GRAAM «  Psychanalyse du lien au travail » – Le Désir de travail. Ed .Masson Elsevier 2011.

Rappelons tout d’abord le postulat de base de cette approche (id p.51) : « l’énergie psychique qui va vers le travail suit très précocement la signalisation d’un panneau, dans lequel tout sujet va tomber. Un panneau qui dirait : il manque quelque chose au Père absolu. Et la tentation de  combler  ce manque suffit pour aller travailler. »

 

C’est ainsi que s’élabore le concept de «  Dette paternelle ».Il s’agit d’une dette structurelle et inconsciente, qui se constitue dans la construction hétérogène du père en trois parties, père imaginaire, père réel et père symbolique.

En un résumé très bref, le père réel est celui de la gamète, le père imaginaire est celui de la réalité (papa) et le père symbolique celui de la loi et du nom du Père. Ces pères, s’ils sont  liés, sont cependant distincts, d’où l’idée d’une métaphore constituée de trois pieux, entre lesquelles l’énergie pulsionnelle va devoir se glisser et se heurter, selon, à l’une des trois dimensions, réelle, imaginaire ou symbolique.

Cf   Le schéma de l’ouvrage (id p.58).

 

 

Si nous revenons à la présentation Freudienne de l’issue de la castration, nous nous rappelons que le garçon va sortir de l’oedipe en s’orientant essentiellement vers la loi du Père : c’est le schéma petit a.

La fille elle, en entrant dans le complexe d’oedipe va s’orienter vers le père imaginaire. C’est le schéma b.

En s’orientant vers le père symbolique, le garçon aura toujours à vérifier que la loi tient. Son tropisme dans le travail, R .Guinchard le décrit ainsi (id p. 59) : « La rencontre avec le piquet « père symbolique »(symbolisation) oriente la boule vers le travail. Le tropisme vers le travail vient alors réaliser une « capacité au symbole » dont il faudra toujours vérifier qu’elle est et sera désormais toujours en mesure de faire Loi, d’interdire, de poser des limites. Il semble alors que la recherche d’un père symbolique ordonnateur (avec le doute sous-jacent associé) oriente vers la recherche du pouvoir comme affirmation que « de l’ordre, il y en a, puisque j’en tiens au moins une partie en tenant une place de pouvoir »   C’est ainsi que l’orientation se fera vers le travail comme quête du pouvoir : attention ce pouvoir est à référer à la fixation de limites et de repères, ce n’est pas nécessairement le pouvoir des organigrammes ou des institutions.

 

Pour la fille, l’orientation de la pulsion vers le père imaginaire aurait pour effet d’orienter vers le travail comme quête de réalité. C’est alors, selon R.Guinchard, (id p.60) «  la recherche de la réalité qui est au centre de l’objet du travail en ce qu’elle devra permettre de faire coïncider Réel, Imaginaire et Symbolique au travers de l’objet créé. En quelque sorte, cette configuration oriente  le travail vers le travail lui-même au sens de la production et de la construction. Nous ne sommes pas très loin de la construction du totem du mythe freudien de «  totem et tabou », où un meurtre symbolique autorisait la production d’un objet social »

 

Revenons à notre propos initial autour de la discrimination.

Sans vouloir associer directement le développement que je viens de faire sur les orientations préférentielles de la pulsion vers l’imaginaire ou le symbolique avec la réalité des postes de responsabilité tenus ou non par des femmes, on pourra cependant en retenir une chose.

J’étais parti de la question de savoir si quelque chose viendrait discriminer le parcours féminin dans le travail et qui ne relèverait pas seulement d’une «  discrimination » au sens juridique, c’est-à-dire d’un choix délibéré, et masculin, d’écarter les femmes des postes de responsabilité.

Mon hypothèse, et elle ne concernerait qu’une tendance, sans valeur prédictive contraignante pesant sur toutes les femmes – il en est qui accèdent à de très haut niveau de responsabilité – pourrait cependant rendre compte des situations paradoxales ou malgré toute l’ouverture qui leur est faite, les femmes en demeurent éloignées : cela relèverait alors d’un choix, largement inconscient a priori.

Par : Pierre Viénot

Le : 13 mai 2011